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Avertissement au lecteur

De l’auteur :

   Dans mes précédents ouvrages, je n’avais pris aucune peine à vous prévenir, ami lecteur, de ce que votre attention allait être, plus qu’ailleurs, sollicitée.

   Je donnais à mon récit toutes les qualités d’une belle histoire, un vocabulaire pour la colorer de mille nuances, une grammaire respectueuse, un style qui se voulait propre, point trop personnel pour ne pas paraître, et conforme à l’usage que mes prédécesseurs, écrivains, en faisaient, dans le but de se faire bien comprendre, et de captiver. Cela devait suffire.

   Fort de ces outils et de ces matériaux, je construisais mes romans, y ajoutant au fil des pages d’autres raisons que mon émotion fomentait, si bien qu’ils se chargeaient jusqu’au plat-bord, comme une barque pleine. Je ne laissais sur les rives où je me tenais pour écrire rien qui ne put immédiatement s’embarquer.

   Cependant, je ne manquais pas de trouver à ce surplus de bagages une destination particulière, non pas de celles dont on pense qu’elles peuvent un jour servir, sur telle page ou telle autre, à faire rebondir l’action, en se trouvant content d’avoir déjà sous la main la matière, mais de celles qui servent au bivouac, lorsque la nuit vient, et que, le livre posé, l’esprit demande à se nourrir.

   Aurait-t-il encore fallu que je vous dise ces escales nécessaires, et cet autre plaisir, prenant le temps, que vous y auriez trouvé. J’ai manqué de ne point vous en faire part, et je vous en demande pardon.

 

Du livre :

   J’avais eu le tort de croire qu’on me lisait en veillant, et que, se sentant sombrer dans le sommeil, mon lecteur s’accrochait à ces impedimenta[1] dont l’auteur m’avait chargé, surpris d’y trouver alors de quoi reprendre la découverte sur d’autres rivages. J’avais même pensé que, l’esprit de cette logistique étant acquis, mon lecteur prendrait plaisir à faire escale, et que, allant vers ces bras ouverts à d’autres rives, il les explorerait tout en rêvant, s’enrichissant de choses nouvelles. C’était sans compter sur les habitudes que certains, passagers de nouveaux esquifs, imposent : ils veulent être transportés sèchement d’un bord l’autre, pourvu que le bateau aille rapidement, les secoue physiquement, que leurs émotions y soient fortes, et que rien ne fasse qu’elles les laissent à réfléchir, ne serait-ce qu’un instant. Embarquent-ils dans le train fantôme, sur le grand huit, dans le manège sidérant des images-chocs, des impressions fortes, des mots crus, de la syntaxe approximative, de la séquence d’action et du cliché ? Et descendent-ils au terminus, l’esprit vide, et le corps entier, sans la fatigue d’avoir résisté à tout, puisqu’il ne s’agit que de se distraire, entre deux pontons ? Les voilà heureux.    

   Autant vous le dire maintenant. Je ne suis pas de ces métiers de foire qui proposent à l’envi cette distraction en diable.

   L’artisan qui m’a construit avait une autre ambition — toutes sont louables —, celle que je guide votre promenade, car il est un artiste qui se réjouit du calme, de la douceur, et de la volupté, un ami qui vous invitera à sa table, un conteur qui clôt le repas et vous laisse, repu, enfin vous livrer aux rêves.

   Dans ce voyage où je vous mène, ne vous suffisez pas de lire. Prenez le temps, relisez. C’est un voyage sans arrivée, sans destination, sans fin, à discrétion, une lecture ancienne. Cependant, ne vous laissez pas prendre, lorsqu’il s’élargit, par le calme du fleuve. Son courant vous transporte. Au gré de ses méandres, se révèlent d’impétueux passages. Prenez-y garde. Soyez convaincus que sous les mots, ou dans le tortueux des phrases provoqué par le flux se cachent d’autres vies, et que celui-là, si vif soit-il, les laisse en place.    Celles-ci valent autant que les grands poissons que vous avez vu sauter, nageant vers l’aval, en vous y entraînant.

 

   Ainsi, de moi, cet ouvrage qui se donne à lire, et qui vous livre tout de go le paradoxe de son titre, que croyez-vous qu’il aille vous dire, que vous ne preniez la peine d’aller d’abord pêcher ?

   Sachez simplement que la fin n’est pour rien dans les moyens, puisque l’histoire, suspendue à vos pensées, n’aura de fin que celle de vos rêveries.

   Prenez le temps de vous laisser mener, et osez, pour voir. Soulevez les pierres, dans le lit de la rivière.

 

 

[1] Charges individuelles et logistiques du soldat romain en campagne

                                   

 

                                 L’auteur : Paul STEIGER

                             Le livre : Un homme sans histoire

 

Cet avertissement vaut bien entendu pour la lecture d'UN SCRUPULE, aussi bien que pour L'ENFANT D'UN MATIN

 

 

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