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Oh, le trouble, la première fois…

Il savait qu'elle l'attendait. Il avait quitté la table sans rien dire, était sorti de la pièce, avait descendu sans bruit le grand escalier et l'avait rejointe dans le hall, là où, en arrivant tout à l'heure, il l'avait croisée.

Dans la dernière volée, avant d'atteindre le parterre, il s'était arrêté pour se pencher au dessus de la rampe et l'observer. Elle était toujours là, immobile, montrant son dos, nue jusqu'à la croupe, le regard plongé dans un ailleurs, quelque part vers la fenêtre, ignorant qu'il la regardait. Il contempla la courbe délicate qui, partant de l'arrondi de l'épaule traçait la ligne suave de son cou, dessinait un petit menton, suggérait la douceur du visage jusqu'à se perdre dans les ondulations de sa chevelure. Sans jamais la quitter des yeux, sur la pointe des pieds pour ne pas rompre le silence, il acheva sa descente et s'avança dans sa direction.

À moins de deux mètres, retenant son souffle, il s'arrêta. De cet endroit, derrière lui, les miroirs du hall renvoyaient sur elle une lumière vivante, de celles que les rayons du soleil déjà rosi par le soir, dardant par l'oculus, réfléchissent, et qui, bousculée au travers par une ombre, s'animait, semblant donner vie à ce qu'elle éclairait.

S'amusant de ce chatoiement, il repris sa progression sournoise, les bras en l'air pour affoler la lumière, faisant palpiter le moindre vallon, le plus petit creux, les infimes dépressions modelant sa peau, puis se laissant surprendre, après l'avoir contournée, la découvrant immuable, avec encore ce sourire qui l'avait conquis.

De face, le soleil l'avait dévoilée jusqu'à laisser sentir la tiédeur de son corps, tant les couleurs qu'il posait dessus, du rose à l'ambre, du bleu à la violine l'impressionnaient de chaleur.

N'y tenant plus, il osa.

Il posa tendrement sa main sur le genou, y appliquant d'abord la paume, puis les doigts, épousant sa forme douce, laissant un frémissement lui venir. Puis il remonta sur la cuisse, lentement, légèrement, longuement, comme pour mieux en sentir le poli nacré qui l'avait ému. Ce faisant, il croisa son regard et ne le lâcha plus.

Les yeux avec la main emplissaient son âme de pensées indicibles. Le trouble était en lui. Sur le socle, un autre Pygmalion avait laissé le marbre brut, rugueux, et lui douta que cette pierre fût la même ici que là où ses doigts glissaient, si habiles à feindre, sentant la chair frémissante sous la dureté lisse du marbre.

Un bruit de porte, à l'étage, rompit un instant le charme.

Il conserva le recul qu'il venait de prendre et regarda ses mains, désespérement.

Encore rêver, la contempler et se morfondre, jaloux d'un sculpteur.

P. STEIGER

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