Un petit bonheur quotidien
Parce que plus rien n'avait de sens et qu'il pleuvait encore, parce que hier avait été pareil et les jours d'avant identiques, parce que rien n'annonçait que cela pût changer, il chercha alentour sur quoi accrocher cette liberté qui lui restait : sourire.
Le papier sale qui, chaque jour, emballait son pain était la seule chose malléable après la mie presque fraîche qu'il pétrissait en bourgeon de rose, l'avalant ensuite sans scrupule. Cette ronde-bosse éphémère était son échappatoire, sa nature au milieu des pierres, un devenir de fleur, un souvenir déjà, le bonheur.
Comme toujours, pour rien, une habitude, un modus vivendi, il avait fragmenté la feuille.
Tout à coup lui vint l'idée d'un printemps, d'une floraison grasse, chaque jour augmentée. Il assembla les déchirures, tordit, froissa, lissa, lia jusqu'à cette première rose, native d'entre ses doigts, si certaine qu'il en fut heureux tout le jour.
Ce n'était rien qu'une chose informe, grise d'encre et de pénombre, légère au point qu'il la sentit à peine, mais l'objet, à lui donner forme, l'avait satisfait, le comblait, donnant un sens à l'attente.
Le papier n'étant pas compté, il décida que chaque jour prochain aurait sa fleur, une espérance de fruit, une continuité de la vie.
Il cultivera son bonheur ainsi qu'un jardin, puisque rien d'autre n'était possible, sans se faire remarquer, sans se plaindre, avec simplement le souhait que le papier ensachant son pain quotidien ne lui manquât jamais.
Il dirigea le regard vers ses doigts, sur l'impalpable construction de sa petite joie et, rassuré d'exister encore, sourit à son ébauche.